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Optimiser son processus de brassage

Optimiser son processus de brassage

Chris Lewington (Brew Resourceful) sur l’impact environnemental et les économies de coûts

Comment réduire mon impact sur l’environnement ? Comment réduire les coûts tout en maintenant la qualité ? Autant de questions que se posent de nombreux brasseurs. Mais par où commencer ? Le chemin vers une plus grande efficacité du brassage peut sembler interminable.

Chez Lallemand Brewing, notre philosophie est « We Brew With You™ » (Nous brassons avec vous), c’est pourquoi ces questions nous préoccupent également. Dans cet article, Eric Abbott, Responsable du Support Technique de Lallemand Brewing, s’entretient avec Chris Lewington, fondateur de Brew Resourceful, pour parler de l’efficacité en brasserie et de la façon dont les brasseurs peuvent faire des économies et réduire leur impact sur l’environnement.

Que signifie pour vous l’efficacité du brassage ?

L’efficacité du brassage est définie par la quantité de ressources consommées pour produire votre bière. Je me concentre sur cinq facteurs principaux :

  • l’efficacité de la salle de brassage ;
  • l’eau ;
  • l’électricité ;
  • le gaz ;
  • le CO2 ;

Il est préférable de considérer pour chacun de ces facteurs la quantité consommée par volume de bière conditionnée produite.

Quels sont les avantages de se concentrer sur l’efficacité du brassage ?

La plupart des brasseurs souhaitent avoir un impact moins négatif sur l’environnement. Améliorer son efficacité a un impact à la fois financier et environnemental. Vous dépenserez moins en matières premières, en énergie, et vous réduirez également votre impact sur l’environnement. L’un des meilleurs moyens de devenir une planète plus durable consiste, pour les entreprises comme pour les particuliers, à consommer moins. C’est exactement ce que signifie l’efficacité. 

Le concept semble simple, mais la réalité est que de nombreuses brasseries ne se concentrent pas suffisamment sur l’efficacité du brassage. Comment cela se fait-il ?

Je comprends pourquoi les brasseries, en particulier les brasseries artisanales, ne se concentrent pas toujours sur l’efficacité. En tant que brasseur artisanal, votre unique argument de vente est la qualité de votre produit, qui devient donc votre seule préoccupation. Par conséquent, de nombreux brasseurs se retrouvent coincés avec des processus inefficaces, tels que des routines NEP sous-optimales, une ébullition de plus de 60 minutes ou une efficacité de la salle d’empâtage inférieure à 90 %.

Je préfère formuler la question différemment. Au lieu de demander : « Pourquoi ne brassez-vous pas efficacement ? » je pose la question suivante : « Aimeriez-vous dépenser moins d’argent en matières premières, en gaz et électricité chaque mois ? Les brasseurs n’ont peutêtre pas de réponse à la première question. Mais pour la seconde, c’est toujours « Oui, bien sûr ! »

Que diriez-vous aux brasseries qui n’ont pas vraiment pris en compte l’efficacité du brassage ?  

Vous êtes peut-être en retard, mais il n’est jamais trop tard. L’efficacité n’est pas un nouveau concept, c’est une norme pour toutes les entreprises depuis la révolution industrielle, alors arrêtez de chercher des raisons de ne pas le faire et commencez à trouver les moyens de le faire.  

Quelle est la première chose qu’un brasseur devrait faire lorsqu’il décide de se concentrer sur l’efficacité du brassage ?

La première étape consiste à collecter des données. Examinez les relevés de vos compteurs et vos factures de gaz ou d’électricité. Inscrivez ces valeurs dans une feuille de tableur avec le volume conditionné pour cette période. Cela vous permet de calculer l’intensité de chaque utilité/ ressource, c’est-à-dire la quantité consommée pour produire un volume de bière conditionnée. Cela vous permet d’établir une base de référence interne pour suivre les progrès réalisés au fil du temps. En ce qui concerne l’efficacité de la salle de brassage, vous recueillez probablement déjà les données nécessaires comme la densité et le volume dans vos fiches de brassage quotidiennes.

Des outils d’intelligence artificielle tels que Chat GPT peuvent vous aider à analyser vos données plus rapidement et à déterminer les facteurs à l’origine de X, Y ou Z.

Cela peut sembler simple, mais d’après mon expérience, je dirais qu’au moins 80 % des brasseries artisanales ne mesurent pas ces paramètres de base.

J’ai créé des feuilles de calcul, des calculatrices et des outils gratuits pour vous permettre de commencer à mesurer tous les paramètres clés. Consultez-les gratuitement ici.

Avez-vous des modèles disponibles pour aider les gens à commencer à suivre ces mesures ?  

Excellente question, Eric. Oui, c’est exactement ce que je fais. J’ai des modèles simples pour le suivi du gaz ou de l’électricité, et des modèles légèrement plus compliqués pour l’efficacité de la salle de brassage. J’ai conçu des outils qui démystifient et normalisent la façon dont vous calculez l’efficacité de la salle de brassage. Il suffit d’ajouter les données de votre certificat d’analyse de malt (COA) ainsi que la densité et le volume de votre moût pour que le calculateur détermine l’efficacité de votre salle de brassage. Pour le calculateur de gaz et électricité, vous entrez les relevés de votre compteur et le volume conditionné au cours de la même période et il calculera vos intensités de consommation. Les données issues de ces calculs peuvent être enregistrées et suivies dans le temps. 

​​​​Ces modèles ​sont très utiles si vous disposez d’un bar, qui partage généralement les compteurs avec la brasserie et complique un peu les calculs. C’est pour cela que j’ai créé un calculateur de compensation, ​​​​pour prendre en compte la consommation du bar séparée de la brasserie. Il vous suffit d’entrer la superficie et le calculateur indiquera la quantité d’eau, d’électricité et de gaz consommée en se basant sur les normes de l’industrie. Même si cette méthode n’est pas parfaite, elle rendra vos mesures plus précises et donc plus utiles pour une analyse comparative. 

Et tous ces outils sont entièrement gratuits. Il vous suffit d’aller sur mon site web, www.brewresourceful.com, et de vous connecter à l’espace membres. L’adhésion est gratuite et vous pouvez télécharger tous ces outils et les utiliser.  

Ok, disons que j’ai collecté quelques données de base comme point de départ. Que dois-je faire ensuite ? 

C’est exactement là que de nombreuses personnes se retrouvent bloquées. Et c’est ce que je voulais aider à résoudre il y a deux ans lorsque j’ai lancé Brew Resourceful. On peut avoir l’impression d’avancer à tâtons. Vous pouvez changer plusieurs choses dans différentes parties du processus de brassage et peut-être que vous verrez votre consommation d’énergie diminuer en quelques mois. Mais était-ce le bon changement ? Quel en a été l’impact ? Mon temps en valait-il la peine ? Combien cela a-t-il permis d’économiser ? Si vous ne pouvez pas répondre à ces questions, c’est inefficace et démotivant à long terme. 

J’ai donc toujours travaillé selon les principes suivants : mesurer, évaluer et réduire. Et toujours dans cet ordre ! C’est ainsi que vous pouvez maximiser votre temps et vos économies, tant au niveau des coûts que de l’environnement. Une fois que vous avez commencé à mesurer les cinq paramètres de base (efficacité de la salle de brassage, eau, électricité, gaz et CO2), vous devez vous référer aux normes industrielles. J’ai créé un outil d’analyse comparative gratuit qui comprend des données provenant de plus de 80 brasseries. La Brewer’s Association propose un outil similaire aux États-Unis. L’outil d’analyse comparative que j’ai créé pour Brew Resourceful est gratuit et se base sur les brasseries du Royaume-Uni et de l’Union européenne. La comparaison avec l’indice de référence de l’industrie vous aidera à orienter votre plan d’action pour améliorer votre efficacité.  

Pouvez-vous nous expliquer l’importance de l’évaluation des performances ? 

Supposons que vous déterminiez que vous utilisez dix litres d’eau pour fabriquer un litre de bière. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Supposons que vous preniez des mesures pour ramener cette consommation à neuf litres, soit une réduction de 10 % de la consommation d’eau, et que tout le monde soit content. Vous avez l’air d’avoir bien travaillé, mais qu’en est-il vraiment ?  Si la norme industrielle est de cinq litres d’eau par litre de bière produite, vous gaspillez toujours plus d’eau que la plupart des autres brasseries et vous pouvez encore l’améliorer. La comparaison avec la norme industrielle vous permettra d’identifier les principaux problèmes et les meilleures possibilités d’amélioration. Cela vous aidera à mieux cibler les domaines dans lesquels vous devez consacrer votre temps et vos ressources. J’ai rédigé des guides sur les dix meilleurs domaines sur lesquels se concentrer pour chaque mesure d’efficacité. 

Mesurer, étalonner, puis réduire est une approche efficace pour améliorer l’efficacité, quelle que soit la taille de votre brasserie,  

Lorsque les brasseries commencent à suivre ces paramètres et à les comparer aux  références du secteur, quels sont les domaines dans lesquels les brasseries ont tendance à s’éloigner le plus des valeurs de référence ?  

Cela dépend beaucoup de la taille de la brasserie. J’ai remarqué que les petites brasseries (500 à 10 000 hectolitres par an) ont tendance à avoir un rendement de salle de brassage bien inférieur aux normes industrielles. De nombreuses brasseries ont un écart de 8 à 9 % par rapport à la référence du secteur. Cela signifie qu’elles utilisent 9 % ​​​​​​​​de malt en plus pour produire le même volume que les autres brasseries. En général, cette différence est liée à leur procédé de brassage, et non à un équipement différent.  J’ai vu des brasseries dotées d’un équipement très rudimentaire être en mesure de porter l’efficacité de leur salle de brassage à 90-93 % en se concentrant sur ce point et en apportant des modifications spécifiques au processus. Je dirais donc qu’à l’échelle artisanale, l’efficacité de la salle de brassage est le facteur qui offre le plus grand potentiel de réduction des coûts et de l’impact sur l’environnement.  

Quelles sont les mesures spécifiques qu’un brasseur peut prendre pour améliorer l’efficacité du brassage ? 

Je suis convaincu que les enzymes et les auxiliaires technologiques sont de très bons outils pour accroître l’efficacité de la salle de brassage, augmenter la capacité des cuves, réduire le temps que le moût y passe, diminuer la puissance de refroidissement nécessaire, etc. L’utilisation de ces produits est un excellent moyen de ​​​​réduire la consommation de matières premières et donc de réduire l’impact sur l’environnement. Pendant longtemps, je sais que les brasseurs artisanaux étaient fortement opposés aux enzymes et aux auxiliaires parce que ces produits étaient associés aux grandes brasseries de production, contre lesquelles les brasseurs artisanaux se rebellaient. Pourtant, leur utilisation est logique d’un point de vue financier et durable. Et en réalité, la majorité de ces produits n’ont pas d’impact négatif surles flaveurs. 

Je comprends cette opposition d’un point de vue philosophique, mais je crois que l’argument commercial est important pour les auxiliaires technologiques et les enzymes.  

Pouvez-vous nous parler du choix des matières premières en général ? Il est facile de se concentrer sur les paramètres que l’on peut mesurer dans sa propre brasserie. Mais lorsque vous commencez à élargir votre réflexion et à penser à l’empreinte carbone et aux ressources impliquées dans la production de tous les types de matériaux, à l’utilisation d’ingrédients produits localement plutôt qu’importés, biologiques ou non, comment proposez-vous que les brasseries évaluent ces types de décisions liées aux matières premières ?  

La sélection des matières premières est importante. Au moins 80 % des émissions d’une brasserie proviennent de sa chaîne d’approvisionnement. Il est impossible de s’approcher du zéro net dans la brasserie sans décarboner les approvisionnements. Cela peut s’avérer être très difficile. L’essentiel est de trouver des fournisseurs qui mesurent, déclarent et réduisent leurs émissions. Une façon de voir les choses est de considérer que vous achetez l’engagement écologique de quelqu’un d’autre. Lorsqu’un fournisseur réduit ses émissions, vous lui achetez moins d’émissions.  

Il y a des choses très simples que chaque brasseur peut faire. La plus simple consiste à acheter de l’énergie verte. Une autre mesure importante consiste à utiliser du malt biologique ou du malt issu de l’agriculture régénératrice. Acheter des ingrédients produits localement est également un bon choix. Mais ce n’est pas toujours simple, et il y a des cas où l’achat à l’étranger est plus durable que l’achat local.  

J’ai d’ailleurs écrit un article à ce sujet ​​où il est démontré que l’achat de houblon américain au Royaume-Uni peut être plus durable que l’achat de houblon cultivé au Royaume-Uni. La raison en est que les rendements de houblon au Royaume-Uni sont beaucoup plus faibles et que l’énergie consommée par kilogramme de houblon produit est donc beaucoup plus importante. Même en tenant compte du transport réfrigéré à travers l’océan, l’achat de houblon américain au Royaume-Uni a toujours un impact environnemental plus faible. 

Il est important d’évaluer chaque entreprise et ses processus. Ensuite, si toutes les autres choses sont égales, il est évident que l’achat local a beaucoup plus de sens.  

Il est important de prendre de bonnes décisions pour sa chaîne d’approvisionnement, mais il est encore plus important de se concentrer sur ce que l’on fait pour améliorer sa propre efficacité dans sa propre entreprise. En fin de compte, une combinaison des deux est la meilleure stratégie pour parvenir à la neutralité carbone. 

Existe-t-il une différence d’efficacité de brassage pour des styles de bières spécifiques, comme les bières sans alcool, les bières à forte gravité, etc.  

La bière à faible teneur en alcool est vraiment intéressante du point de vue de l’efficacité du brassage. En fonction du processus, il peut être plus durable de fabriquer de la bière sans alcool. Cela dépend toutefois beaucoup de la manière dont on le fait. La désalcoolisation d’une bière brassée, chose courante dans les grandes usines, est certainement moins efficace que la fabrication d’une bière standard parce qu’il y a un procédé supplémentaire après la fermentation. Cependant, si l’on utilise une approche de fermentation limitée (levure maltose-négative ou fermentation arrêtée), plus courante chez les brasseurs artisanaux, cela pourrait être plus efficace pour différentes raisons : la fermentation est plus courte, vous produisez moins de CO2 et cela nécessite moins d’énergie. En règle générale, la teneur en malt est également beaucoup plus faible dans le cadre d’une approche de fermentation limitée. Je pense donc que les boissons à faible teneur en alcool et les boissons sans alcool présentent des avantages potentiels du point de vue de l’efficacité du brassage. 

Le brassage à haute gravité est également très intéressant. Il s’agit de brasser une bière plus forte qui sera diluée à une teneur normale après la fermentation. Cette approche permet de réduire les pertes de volume et de maximiser les ressources. C’est très logique et c’est la raison pour laquelle les grandes brasseries le font depuis de nombreuses années. 

Les produits à base d’extraits de houblon sont-ils plus durables que les pellets ou les cônes de houblon ?  

Sans aucun doute, oui, pour trois raisons.  

  • Premièrement, l’extraction des huiles de houblon est plus efficace lors de la fabrication d’extraits que lors du processus de brassage. Ainsi, pour une même quantité de houblon brut, vous pouvez produire un plus grand volume de bière grâce aux extraits de houblon qu’avec des pellets ou de cônes.  
  • Deuxièmement, les extraits de houblon réduisent les pertes dans le whirlpool et le fermenteur. Les pellets de houblon absorbent un volume de moût ou de bière, ce qui entraîne une perte de volume de 5 à 20 % en fonction de l’équipement de brassage et de la recette. Les extraits de houblon n’entraînent pratiquement aucune perte de volume, car il s’agit d’huiles pures ne contenant aucune matière végétale.  
  • Troisièmement, ils sont plus faciles et moins coûteux à transporter et à stocker. Les extraits de houblon ne peuvent pas (encore) remplacer complètement le houblon en brasserie, mais ​​​​​​si je devais ouvrir une brasserie demain, j’essaierais ces produits sans l’ombre d’un doute.  

Quel est le rôle de la levure dans le développement durable ? 

Pour la levure, le réensemencement est essentiel. Trop de brasseurs ensemencent leur brassin et jettent la levure ensuite. Cela doit cesser. La plupart des brasseries devraient être en mesure de faire du réensemencement, au moins une ou deux fois. Il est important de commencer par une source de levure de qualité pour garantir de bonnes performances de réensemencement. J’anime également un podcast sur la brasserie, The Modern Brewer Podcast, où je (Chris Lewington) et Alix Blease (Lallemand) expliquons comment commencer à réensemencer votre levure. 

Chris Lewington bio 

Chris Lewington travaille depuis plus de dix ans dans les brasseries les plus emblématiques et respectées du secteur. Il a géré des brasseries allant de 2 000 hl/an à 250 000 hl/an. Son expérience et ses connaissances en matière de brassage artisanal sont uniques. Son entreprise Brew Resourceful cherche à mettre à disposition cette expérience et ces connaissances pour rendre l'industrie brassicole plus ingénieuse, en augmentant la rentabilité des brasseries et en réduisant les émissions carbone grâce à des solutions basées sur les processus.

Publié Jul 10, 2024 | Mis à jour Sep 13, 2024

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